EyeLevel : quand la nouvelle génération imagine l’accessibilité de demain

À seulement 18 ans, Hugo Mouffok incarne une nouvelle génération d’entrepreneurs engagés qui transforment leurs défis personnels en solutions pour la société. Malvoyant et passionné d’informatique, il a fondé avec ses camarades l’association EyeLevel, initialement un projet lycéen. Deux ans plus tard, cette initiative s’est transformée en une aventure collective prometteuse, mobilisant une dizaine de développeurs malvoyants à travers la France.

Face au constat alarmant de 40% de personnes malvoyantes sans emploi et à l’augmentation prévue du nombre de déficients visuels d’ici 2050, Hugo et son équipe développent des solutions technologiques innovantes et accessibles. Entre sensibilisation dans les écoles, développement de robots d’assistance et création de supports pédagogiques adaptés, EyeLevel illustre parfaitement comment la jeunesse peut mettre la technologie au service de l’inclusion.

Rencontre avec ce jeune président d’association qui, entre ses études d’ingénieur et la gestion de ses projets, garde un objectif clair : rendre le numérique accessible à tous.

Les membres de l'association Eyelevel qui discutent avec Rachida Dati

Bonjour Hugo, peux-tu te présenter en quelques mots ?

Je m’appelle Hugo Mouffok, j’ai 18 ans. Pour revenir rapidement sur mon parcours, j’ai suivi un parcours ULIS au collège, avant de rejoindre l’Institut National des Jeunes Aveugles Louis Braille où j’ai obtenu mon bac spécialité Mathématiques et Numérique et Sciences Informatiques avec mention très bien. Je suis actuellement en école d’ingénieur informatique à l’école Efrei et je suis cofondateur et président de l’association EyeLevel depuis janvier 2024.

Peux-tu présenter l’association EyeLevel ? 

EyeLevel existe depuis janvier 2024 en tant qu’association, même si le projet existe depuis 2022. Nous sommes une équipe de dix membres, dont des codeurs malvoyants de toute la France. L’association a pour mission de promouvoir l’utilisation du numérique pour tous, sensibiliser à l’accessibilité, publier des supports adaptés, fournir un accompagnement, et concevoir des outils adaptés.

Quelles actions mettez-vous en place pour accomplir les missions de l’association ? 

L’Association EyeLevel a donc 5 principales missions : 

  • Promouvoir l’utilisation du numérique pour tous.

Nous avons rejoint la Maison des associations du 7e arrondissement de Paris, ce qui nous permettra d’aller dans des écoles primaires pour sensibiliser les élèves à l’informatique et au handicap. Nous voulons montrer que, peu importe le profil, l’informatique est accessible à tous.

  • Sensibiliser à l’importance de l’accessibilité.

Cette mission se concrétise par des publications sur nos réseaux sociaux et des visites en entreprises ou contacts pour illustrer comment une personne malvoyante peut travailler et comment les entreprises peuvent adapter leurs outils et plateformes pour être accessibles à tous.

  • Publier des supports d’apprentissage adaptés.

Sur notre site, nous proposons des cours en ligne en mathématiques et en spécialité Numérique et Sciences Informatiques (NSI). Nous envisageons aussi de développer des contenus en programmation et en bureautique.

  • Fournir un accompagnement aux personnes qui veulent en savoir plus sur l’inclusion ou le handicap.

Des professeurs, des professionnels et des familles nous contactent régulièrement pour savoir comment adapter leurs documents ou leurs cours pour des déficients visuels. Lorsque nous n’avons pas toutes les réponses, nous les redirigeons vers des experts de notre réseau.

  • Concevoir des outils adaptés. 

Dans ce cadre, nous développons un robot et un drone capables d’accompagner une personne malvoyante dans de nombreuses tâches du quotidien. Par exemple, le drone peut suivre une personne, reconnaître des textes, des voix, des visages, des gestes et des objets, puis les localiser. Nous intégrons progressivement cette solution dans les robots pour tirer parti de leur plus grande autonomie et de leurs capteurs avancés, comme une pince pouvant manipuler des objets.

Grâce à un financement de l’association Voir Ensemble, nous avons pu acquérir deux robots supplémentaires pour avancer dans nos développements et concrétiser nos projets.

Si tu devais décrire EyeLevel et l’équipe en trois mots, lesquels choisirais-tu ?

Les trois mots qui nous décrivent sont : Ambition, Collaboration et Innovant. 

Comment est né le projet Eyelevel ?

Le projet a vu le jour en 2022, lors de notre spécialité numérique en première qui nécessite la réalisation d’un projet. Nous partagions une passion pour les drones et avons commencé à réfléchir à la façon dont un drone pourrait répondre à nos besoins au quotidien. L’idée de « coder nos propres besoins » est devenue notre fil conducteur.

Ainsi, nous avons travaillé pour que ce drone puisse véritablement nous assister dans des tâches concrètes, et ce projet nous a beaucoup plu. En terminale, notre projet a même obtenu la troisième place au Trophée NSI, qui récompense les meilleurs projets de la spécialité. 

À ce moment-là, nous avons ressenti le besoin de donner une continuité à cette initiative, ce qui a mené à la création de l’association EyeLevel.

Pourquoi le nom Eyelevel ?

Au début, nous avions du mal à trouver un nom qui nous plaisait vraiment. Puis, lors d’une discussion, notre professeur – qui est aujourd’hui notre trésorier – a évoqué l’idée d’atteindre le « high level ». Quelqu’un a alors plaisanté en disant : « High, ça s’écrit comment ? E-Y-E ? ». Et c’est ainsi qu’est né le nom EyeLevel.

Quelles initiatives en cours chez EyeLevel te motivent le plus ?

Actuellement, plusieurs projets m’enthousiasment beaucoup. D’abord, nous préparons des actions de sensibilisation auprès des élèves de primaire pour leur montrer que le numérique est accessible à tous, quel que soit leur profil ou leur parcours. Nous collaborons avec des enseignants pour lancer ces ateliers prochainement.

Nous travaillons aussi sur le développement de robots. Nous avons reçu récemment un deuxième robot et commençons à y intégrer nos applications : après s’être familiarisés avec Scratch, nous passons maintenant à Python pour aller plus loin dans les fonctionnalités.

De plus, nous lançons bientôt une nouvelle série de publications sur les réseaux sociaux, appelé EyeTech, pour rendre des concepts informatiques complexes plus accessibles au grand public, tout en sensibilisant davantage à l’importance de l’accessibilité.

Enfin, des personnes nous ont contactés pour évaluer l’accessibilité de leurs sites et proposer des améliorations. En parallèle, nous continuons d’ajouter des cours en ligne sur notre site pour enrichir les ressources disponibles.

Comment envisagez-vous d’intégrer les nouvelles technologies et la programmation pour améliorer l’accessibilité ?

Nous prévoyons d’intégrer progressivement l’intelligence artificielle dans nos solutions. Par exemple, l’application “Be My Eyes” permet aux personnes malvoyantes de contacter des bénévoles pour une aide visuelle, comme lire les instructions sur un produit. Récemment, ils ont lancé une option appelée “Be My AI” qui utilise ChatGPT pour reconnaître des images, ce qui est très puissant et nous inspire beaucoup.

De notre côté, nous envisageons d’intégrer une IA capable de reconnaître l’environnement, comme la position d’un passage piéton, l’emplacement d’une boulangerie, d’un arrêt de bus ou encore le contenu des emballages. Ce type de fonctionnalité pourrait offrir une assistance précieuse dans de nombreux domaines pour les personnes déficientes visuelles.

Travaillez-vous avec d’autres associations ou institutions ? Si oui, comment se déroulent vos collaborations ?

Nous collaborons avec l’Association Voir Ensemble, qui nous a accordé un généreux financement. Nous travaillons également étroitement avec l’Institut National des Jeunes Aveugles, où des élèves de la spécialité NSI, membres de notre association, nous aident à coder le robot.

Prochainement, nous allons rejoindre le Campus Louis Braille, un carrefour entre recherche, formation et innovation. La section innovation sera un incubateur dédié aux projets pour la malvoyance, fondé par des institutions majeures comme l’Institut National des Jeunes Aveugles Louis Braille, l’association L’AVH, apiDV et Voir Ensemble. Nous souhaitons nous y intégrer en tant que startup à long terme.

Quelles sont vos aspirations pour le futur ?

Nous souhaitons avant tout faire évoluer notre projet et trouver plus de temps pour développer notre robot, car cela est long. À long terme, notre objectif est de créer une solution véritablement utile au quotidien pour les personnes déficientes visuelles.

Notre priorité est de trouver l’outil idéal pour embarquer notre solution, et une intelligence artificielle, qui pourrait reconnaître les objets, les voix, les visages, etc. d’une manière plus précise, afin d’offrir un accompagnement optimal. Une fois cette solution aboutie, nous aimerions lancer une enquête nationale et intensifier nos actions de sensibilisation dans les écoles et entreprises pour toucher encore plus de monde.

Quels sont les principaux défis auxquels EyeLevel est confronté dans la réalisation de ses projets ?

La gestion du temps est notre plus grand défi, car chacun a des engagements parallèles, et il n’est pas toujours facile de se réunir.

Le manque de moyens financiers était également une difficulté, mais le soutien financier que nous avons reçu va nous permettre de tester plus d’outils, de développer nos compétences et d’agir avec davantage de liberté.

Comment voyez-vous l’impact d’EyeLevel sur la société, notamment en termes de sensibilisation à la déficience visuelle ?

Nous œuvrons pour sensibiliser au fait que les différences ne sont pas un frein, que ce soit pour de jeunes élèves ou des salariés plus âgés.

Nous recevons déjà des retours très positifs sur les réseaux sociaux, avec des personnes qui nous remercient d’avoir changé leur perception, par exemple : “Je ne savais pas qu’un déficient visuel pouvait utiliser un ordinateur de cette façon”, ou encore : “J’avais des doutes en voyant un CV. Maintenant, je comprends mieux.”

Récemment, nous avons partagé les 10 meilleures applications pour les déficients visuels, ce qui a également suscité beaucoup de gratitude. 

Ces retours nous font plaisir et confirment que notre impact est déjà concret.

Qu’est-ce que cela représente au quotidien d’être président d’une association à 18 ans, tout en étant déficient visuel ?

Cela demande du temps et de l’énergie, c’est certain, mais c’est un rêve devenu réalité. Jamais je n’aurais imaginé, en commençant l’informatique il y a trois ans, que je deviendrais président d’une association. Mais c’est ce que j’adore, c’est ma passion, et je kiffe !

Comment concilies-tu tes études et ton rôle au sein de l’association ?

Je consacre entre 4 et 5 heures par semaine à l’association. J’ai réussi à organiser mon emploi du temps avec celui de la spécialité NSI pour les soutenir, et je vais à l’institut les mardis après-midi pendant 2 heures, avec l’objectif d’augmenter ce temps à 3 ou 4 heures à terme.

Le week-end, je prends également quelques heures pour répondre aux personnes qui nous contactent et avancer sur des solutions pour le robot – les tâches ne manquent pas !

Quelles sont les compétences que tu as développées en dirigeant cette association à un si jeune âge ?

Cette expérience m’a permis de développer trois compétences essentielles : l’aisance à l’oral grâce aux présentations en conférence, la maîtrise technique en programmation, et l’efficacité dans la recherche de solutions. J’ai également acquis des compétences en gestion du temps et en communication écrite à travers la rédaction de publications, courriels, demandes de subventions…

Quel est ton plus grand rêve pour l’avenir ?

Mon premier objectif serait d’obtenir mon diplôme, et ensuite de créer une entreprise pour développer nos projets et en faire profiter le plus de personnes possible. 

Aujourd’hui, 40% des personnes malvoyantes sont sans emploi, ces chiffres sont vraiment choquants. On aimerait les aider à mieux utiliser et maîtriser le numérique. Notre solution pourrait leur permettre de se déplacer plus facilement dans la rue. On pense aussi à organiser des ateliers de codage pour aider toutes ces personnes à mieux maîtriser les outils numériques.

De plus, des études prévoient que le nombre de malvoyants va tripler d’ici 2050, notamment à cause du vieillissement de la population. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, de plus en plus de personnes auront besoin de ces outils.

Que souhaites-tu faire comme métier plus tard ?

Je souhaite devenir entrepreneur et créer ma startup dans l’informatique, en me spécialisant dans le développement de matériel adapté pour les personnes en situation de handicap.

Peux-tu partager une anecdote ou un moment marquant depuis la création de l’association ?

Ce qui nous a vraiment touchés, c’est le soutien financier que nous avons reçu, notamment un don de 1000€, et un autre de 150€ du père d’une personne malvoyante. 

Ça fait vraiment plaisir de voir que des gens croient en notre projet. En quelques mois, nous avons aussi obtenu une 3ème place dans un concours, une 1ère place dans un autre, et nous allons intégrer un incubateur. Tout s’accélère très rapidement !

Quels conseils donnerais-tu à d’autres jeunes souhaitant créer une association ou s’engager dans une cause qui leur tient à cœur ?

Il ne faut vraiment pas hésiter à se lancer ! On peut souvent avoir peur au début, s’inquiéter pour l’avenir, mais il faut y aller à fond. C’est ce qui nous fait le plus sourire par la suite. Quand on voit le projet avancer, on est super heureux. Comme on dit : qui ne tente rien n’a rien !

As-tu un petit mot pour la fin ? 

Je vous remercie pour cette interview, c’est très gentil. J’invite toutes les personnes qui voudraient en savoir plus sur Eyelevel, ou qui aimeraient coder pendant leur temps libre et s’investir dans le projet, à nous contacter !

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